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14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 21:13

 

 

 

 

 

 

Chère Simone de Beauvoir,

Comme vous étiez belle, comme vous êtes belle lorsque vous apparaissez avec votre manteau noir, votre manteau de fourrure et lorsque vous apparaissez sur la banquette des restaurants avec votre tailleur, votre jersey blanc, votre velours rouge, vos bijoux. Comme vous êtes mince, élégante, altière. Quelle affirmation lorsque vous entrez dans le café. Comme votre arrivée hier a été amicale. Je m’interdisais de vous écrire que je vous aime depuis que je suis revenue de Montjean. Aujourd’hui je ne peux pas me taire. Notre soirée s’est prolongée jusqu’au matin, se prolongera jusqu’au soir. Je n’ai pas dormi et j’ai réfléchi. J’ai compris pendant cette longue insomnie efficace que je vous offense lorsque je vous dis que je ne crois plus à mon livre [Ravages]. Vous, vous y croyez, vous consacrez des heures, des soirées à mon travail et puisque j’ai confiance en vous je dois travailler avec simplicité, sincérité, avec modestie surtout. Écrire est devenu mon métier grâce à vous. Il faut que j’exerce ce métier avec honnêteté, fermeté, conviction. Pendant que j’écrirai des livres mon sentiment pour vous, mon amour ne sera pas stérile. Il est stupide de vous raconter mes études pianistiques dans le passé. Vous savez mieux que moi tout ce que j’ai raté. La nuit dernière j’ai pris l’engagement de continuer d’écrire dans le cas où ce troisième livre ne réussirait pas mieux que les précédents. J’ai un lecteur pour chaque livre qui vaut dix mille, cent mille lecteurs, c’est vous. Je ne veux plus de ce mauvais déclic, toujours le même vers minuit, que j’ai eu au « Harry’s Bar ». C’est de la mauvaise féminité, de l’infantilisme, une contorsion, une grimace comme vous dites. Je sais depuis la nuit dernière que cette petite crise est un refoulement sexuel, mon découragement littéraire, un prétexte. Ne parvenant plus à me dominer en vous voyant, en vous désirant, je me veux triste pour me sauver, pour attirer votre attention. Je lutterai de toutes mes forces au « Harry’s Bar ». Apprendre à renoncer, à mériter votre amitié, les soirées que vous me donnez. Vous m’avez demandé plusieurs fois si j’avais revu l’amie avec qui j’ai vécu neuf ans. Non. Je vous l’écris avec simplicité, dans l’équilibre, sans complexe de culpabilité : je suis un tel monstre de méchanceté, d’égoïsme, de bassesse, de cupidité, une telle hystérique que Denise, le mari, ont fui. Je leur ai laissé de très mauvais souvenirs. J’ai été basse. Il y a eu aussi des petites saletés morales avec le couple de Rennes dont vous m’avez parlé hier. Je vous aime, j’ai donc peur souvent de vous perdre ou bien de perdre un peu ce que j’ai de vous. Enfin je n’ai que vous sur tous les plans. Vous êtes ma famille, mon travail, mon indépendance. C’est pour vous que je tends vers certaines perfections mais je flanche aussi. Quand je ne vous dis pas franchement mes bassesses, j’ai peur, je vous crains. Mais je ne vous cache rien chère Simone de Beauvoir. (...)

J’ai oublié de vous dire que j’avais vu Les lumières de la ville. Je l’ai vu avec Jacques Guérin. Et j’ai vu L’Intrus avec Lucienne dont je vous ai parlé. Je vous donne ces détails par besoin de pureté. Vous ne m’aimez pas comme je vous aime. Quel privilège. Je vous aimerai toujours et ce sera toujours beau.

 

Violette Leduc

 

 

 

 

 

 

 

 

Chère Simone de Beauvoir, 
Comme vous étiez belle, comme vous êtes belle lorsque vous apparaissez avec votre manteau noir, votre manteau de fourrure et lorsque vous apparaissez sur la banquette des restaurants avec votre tailleur, votre jersey blanc, votre velours rouge, vos bijoux. Comme vous êtes mince, élégante, altière. Quelle affirmation lorsque vous entrez dans le café. Comme votre arrivée hier a été amicale. Je m’interdisais de vous écrire que je vous aime depuis que je suis revenue de Montjean. Aujourd’hui je ne peux pas me taire. Notre soirée s’est prolongée jusqu’au matin, se prolongera jusqu’au soir. Je n’ai pas dormi et j’ai réfléchi. J’ai compris pendant cette longue insomnie efficace que je vous offense lorsque je vous dis que je ne crois plus à mon livre [Ravages]. Vous, vous y croyez, vous consacrez des heures, des soirées à mon travail et puisque j’ai confiance en vous je dois travailler avec simplicité, sincérité, avec modestie surtout. Écrire est devenu mon métier grâce à vous. Il faut que j’exerce ce métier avec honnêteté, fermeté, conviction. Pendant que j’écrirai des livres mon sentiment pour vous, mon amour ne sera pas stérile. Il est stupide de vous raconter mes études pianistiques dans le passé. Vous savez mieux que moi tout ce que j’ai raté. La nuit dernière j’ai pris l’engagement de continuer d’écrire dans le cas où ce troisième livre ne réussirait pas mieux que les précédents. J’ai un lecteur pour chaque livre qui vaut dix mille, cent mille lecteurs, c’est vous. Je ne veux plus de ce mauvais déclic, toujours le même vers minuit, que j’ai eu au « Harry’s Bar ». C’est de la mauvaise féminité, de l’infantilisme, une contorsion, une grimace comme vous dites. Je sais depuis la nuit dernière que cette petite crise est un refoulement sexuel, mon découragement littéraire, un prétexte. Ne parvenant plus à me dominer en vous voyant, en vous désirant, je me veux triste pour me sauver, pour attirer votre attention. Je lutterai de toutes mes forces au « Harry’s Bar ». Apprendre à renoncer, à mériter votre amitié, les soirées que vous me donnez. Vous m’avez demandé plusieurs fois si j’avais revu l’amie avec qui j’ai vécu neuf ans. Non. Je vous l’écris avec simplicité, dans l’équilibre, sans complexe de culpabilité : je suis un tel monstre de méchanceté, d’égoïsme, de bassesse, de cupidité, une telle hystérique que Denise, le mari, ont fui. Je leur ai laissé de très mauvais souvenirs. J’ai été basse. Il y a eu aussi des petites saletés morales avec le couple de Rennes dont vous m’avez parlé hier. Je vous aime, j’ai donc peur souvent de vous perdre ou bien de perdre un peu ce que j’ai de vous. Enfin je n’ai que vous sur tous les plans. Vous êtes ma famille, mon travail, mon indépendance. C’est pour vous que je tends vers certaines perfections mais je flanche aussi. Quand je ne vous dis pas franchement mes bassesses, j’ai peur, je vous crains. Mais je ne vous cache rien chère Simone de Beauvoir. (...) 
J’ai oublié de vous dire que j’avais vu Les lumières de la ville. Je l’ai vu avec Jacques Guérin. Et j’ai vu L’Intrus avec Lucienne dont je vous ai parlé. Je vous donne ces détails par besoin de pureté. Vous ne m’aimez pas comme je vous aime. Quel privilège. Je vous aimerai toujours et ce sera toujours beau. 
Violette Leduc
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Les grands frères


Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir

Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?

Oh ! Je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre

Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains

Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate

D'une journée, le long des rives du destin !

Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez

Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés

Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus

Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?

Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi

De vous perdre sans cesse dans la foule

O crieurs de journaux intimes seuls prophètes

Seuls amis en ce monde et ailleurs !

 

René Guy Cadou

 

 

 


L'HOMME APPROXIMATIF (extrait)

 

I

 

dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang

hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles

tombé à l'intérieur de soi-même retrouvé

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

sonnez cloches sans raison et nous aussi

nous nous réjouirons au bruit des chaînes

que nous ferons sonner en nous avec les cloches

 

quel est ce langage qui nous fouette nous sursautons dans la lumière

nos nerfs sont des fouets entre les mains du temps

et le doute vient avec une seule aile incolore

se vissant se comprimant s'écrasant en nous

comme le papier froissé de l'emballage défait

cadeau d'un autre âge aux glissements des poissons d'amertume

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

les yeux des fruits nous regardent attentivement

et toutes nos actions sont contrôlées il n'y a rien de caché

l'eau de la rivière a tant lavé son lit

elle emporte les doux fils des regards qui ont traîné

aux pieds des murs dans les bars léché des vies

alléché les faibles lié des tentations tari des extases

creusé au fond des vieilles variantes

et délié les sources des larmes prisonnières

les sources servies aux quotidiens étouffements

les regards qui prennent avec des mains desséchées

le clair produit du jour ou l'ombrageuse apparition

qui donnent la soucieuse richesse du sourire

vissée comme une fleur à la boutonnière du matin

ceux qui demandent le repos ou la volupté

les touchers d'électriques vibrations les sursauts

les aventures le feu la certitude ou l'esclavage

les regards qui ont rampé le long des discrètes tourmentes

usé les pavés des villes et expié maintes bassesses dans les aumônes

se suivent serrés autour des rubans d'eau

et coulent vers les mers en emportant sur leur passage

les humaines ordures et leurs mirages

 

l'eau de la rivière a tant lavé son lit

que même la lumière glisse sur l'onde lisse

et tombe au fond avec le lourd éclat des pierres

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

les soucis que nous portons avec nous

qui sont nos vêtements intérieurs

que nous mettons tous les matins

que la nuit défait avec des mains de rêve

ornés d'inutiles rébus métalliques

purifiés dans le bain des paysages circulaires

dans les villes préparées au carnage au sacrifice

près des mers aux balayements de perspectives

sur les montagnes aux inquiètes sévérités

dans les villages aux douloureuses nonchalances

la main pesante sur la tête

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées

partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent

sans raison un peu secs un peu durs sévères

pain nourriture plus de pain qui accompagne

la chanson savoureuse sur la gamme de la langue

les couleurs déposent leur poids et pensent

et pensent ou crient et restent et se nourrissent

de fruits légers comme la fumée planent

qui pense à la chaleur que tisse la parole

autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

nous marchons pour échapper au fourmillement des routes

avec un flacon de paysage une maladie une seule

une seule maladie que nous cultivons la mort

je sais que je porte la mélodie en moi et n'en ai pas peur

je porte la mort et si je meurs c'est la mort

qui me portera dans ses bras imperceptibles

fins et légers comme l'odeur de l'herbe maigre

fins et légers comme le départ sans cause

sans amertume sans dettes sans regret sans

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

pourquoi chercher le bout de la chaîne qui nous relie à la chaîne

sonnez cloches sans raison et nous aussi

nous ferons sonner en nous les verres cassés

les monnaies d'argent mêlées aux fausses monnaies

les débris des fêtes éclatées en rire et en tempête

aux portes desquelles pourraient s'ouvrir les gouffres

les tombes d'air les moulins broyant les os arctiques

ces fêtes qui nous portent les têtes au ciel

et crachent sur nos muscles la nuit du plomb fondu

 

je parle de qui parle qui parle je suis seul

je ne suis qu'un petit bruit j'ai plusieurs bruits en moi

un bruit glacé froissé au carrefour jeté sur le trottoir humide

aux pieds des hommes pressés courant avec leur morts autour de la mort qui étend ses bras

sur le cadran de l'heure seule vivante au soleil

 

le souffle obscur de la nuit s'épaissit

et le long des veines chantent les flûtes marines

transposées sur les octaves des couches de diverses existences

les vies se répètent à l'infini jusqu'à la maigreur atomique

et en haut si haut que nous ne pouvons pas voir avec ces vies à côté que nous ne voyons pas

l'ultra-violet de tant de voies parallèles

celles qui nous aurions pu prendre

celles par lesquelles nous aurions pu ne pas venir au monde

ou en être déjà partis depuis longtemps si longtemps

qu'on aurait oublié et l'époque et la terre qui nous aurait sucé la chair

sels et métaux liquides limpides au fond des puits

 

je pense à la chaleur que tisse la parole

autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous

 

Tristan Tzara




FOURMI



Une fourmi fait un trajet
De cette branche à cette pierre
Une fourmi, taille ordinaire
Sans aucun signe distinctif
Ce matin, juin, je crois le sept.
Elle porte un brin, un fétu
Cette fourmi, taille ordinaire
Qui n'a pas la moindre importance
Passe d'un trot simple et normal

Il va pleuvoir, cela se sent
Et je suis seul. Moi, seul au monde
Ai vu passer cette fourmi
Au temps des Grecs et des Romains
D'autres fourmis couraient ainsi
Dont rien jamais ne parle plus
Cette fourmi, taille ordinaire
Sans aucun signe distinctif
Qui serait-elle ? Comment va-t-elle ?

Et toi et moi qui sommes-nous ?
Et comment tournent les planètes
Qui n'ont pas la moindre importance ?
Que fait l'histoire au fond des cœurs
Et comment battent ces cœurs d'hommes
Qui n'ont pas la moindre importance ?
Que font les fourmis de l'esprit ?

Ce matin, juin, je crois, le sept.
Sans aucun signe distinctif
Il va pleuvoir, cela se sent
Cela fera du bien aux champs
- Et ta fourmi, taille ordinaire
Qu'en as-tu fait ? Que devient-elle ?
Crois-tu qu'elle était amoureuse ?
Crois-tu qu'elle avait faim ou soif ?
Crois-tu qu'elle était vieille ou jeune
Ou triste ou gaie ?
Intelligente ou bien quelconque ?
Pourquoi, pourquoi
Pourquoi, pourquoi
Ça n'a-t-il pas plus d'importance ?
Pourquoi, pourquoi
Ça n'a-t-il pas plus d'importance ?
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi ?


NORGE

 

« On est devenu soi-même imperceptible et clandestin dans un voyage immobile. Plus rien ne peut se passer, ni s'être passé. Plus personne ne peut rien pour moi ni contre moi. Mes territoires sont hors de prise, et pas parce qu'ils sont imaginaires, au contraire : parce que je suis en train de les tracer. Finies les grandes ou les petites guerres. Finis les voyages, toujours à la traîne de quelque chose. Je n'ai plus aucun secret, à force d'avoir perdu le visage, forme et matière. Je ne suis plus qu'une ligne. Je suis devenu capable d'aimer, non pas d'un amour universel abstrait, mais celui que je vais choisir, et qui va me choisir, en aveugle, mon double, qui n'a pas plus de moi que moi. On s'est sauvé par amour et pour l'amour, en abandonnant l'amour et le moi. On n'est plus qu'une ligne abstraite, comme une flèche qui traverse le vide. Déterritorialisation absolue. On est devenu comme tout le monde, mais à la manière dont personne ne peut devenir comme tout le monde. On a peint le monde sur soi, et pas soi sur le monde. » Gilles Deleuze




Que Cherches-Tu ?

...par ici il y a du soleil !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vagues à l'âme...