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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 00:54
personne ne saura ne doit savoir
ne dis rien
je l'ai tenu retenu contenu
comme un calice un délice
irradiée décalquée connectée au monde dans son entier
riant à gorge déployée noyée débordée débordant
mordant
ce secret comme une plume
comme un compas
comme une enclume à présent si légère
le temps léchant les plaies une à une les effaçant
ponçant ravinant délavant
ne dis pas
pas à pas sur ce fil ténu tenu par les dents du dedans
bouche à bouche lèvre à lèvre corps à corps
tais-toi

je suis là je suis venue j'ai fui
je suis là j'ai fui
je suis là





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13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 20:03

intrigue_nea.jpg

Ill: Intrigue Néa par Sandorfi

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec  Beigbeder, là, les enfants, je crois que la littérature française touche le fond de la cuvette pour de bon.

Après avoir entendu ce matin à France Inter Bettina Rheims parler de sa dernière exposition, après l’avoir entendue dire qu’elle préférait la pornographie à l’érotisme, parce que le côté « porte jarretelle » de l’érotisme, n’était pas son truc, voici que je tombe de Charybde en Scylla et que j’ouvre donc « 99 francs » de Beigbeder. J’en ai tellement entendu parler de ce type, que je me suis dit allez, fais un effort achète son bouquin. J’ai donc acheté « 99 francs » et aussi un Paul Auster que j’ai bêtement laissé à la maison.

Vous m’imaginez, plongée au milieu de vieilles dames respectables surfant sur la vague du thermalisme remboursé par la Sécu ouvrant au hasard une page*(* 129) :

  « La vie se compose d’arbres, de maniaco dépressifs et d’écureuils »

Je me dis ça commence plutôt bien c’est sympa, poétique…J’enchaîne, pleine d’espoir et de soif littéraire :

« Oui, on peut dire qu’il va mieux maintenant, il se branle six fois par jour. (En songeant à Anastasia qui pourlèche le con d’Edwina qui boit son sperme)….. »

Ca continue comme ça quasiment à chaque page… Quatre pages d’énumération de produits de luxe dont j’ignorais l’existence et le journal d’une consommation de cocaïne qui justifierait à elle toute seule qu’on nous passe tous au scanner  même à l’aéroport de Lorient.

Comme le disait si justement je ne sais plus qui : A quoi bon dire pendant cinq pages qu’on déteste quelque chose alors qu’on pourrait les consacrer à quelque chose qu’on aime ? CQFD .

Donc cette page suffira. Ca faisait longtemps que lire un livre ne m’avait pas autant mise mal à l’aise.

A la limite, ce n’est pas tant la vulgarité tellement banale  des termes employés qui m’indispose, plutôt leur répétition jusqu’à l’écœurement.  Bien sûr, il dénonce les comportements décrits mais on sent une jouissance certaine à se vautrer dans la fange.

Quant à Bettina Rheims, quoi de plus convenu que son discours au sujet de l’artiste qui doit lâcher prise, tout lâcher, passant de l’érotisme bon ton à la pornographie chic, au sexe trash, j’en passe et des meilleures…

Bien sûr, l’artiste peut, et doit tout dire, tout lâcher. « Avec l’âge, on apprend à devenir plus malicieux…Jamais je n’aurais imaginé que la vieillesse pouvait nous affaiblir à ce point » Je regarde « le château ambulant », une fois encore, et la leçon est si belle et si poétiquement donnée.

Moi non plus, l’érotisme en porte jarretelle ne me tente pas. Les termes  crus sont des espèces de tartes à la crème si souvent entendus, la vie sexuelle si souvent étalée comme une pâte qui en perdrait tout son goût.

Je  crois qu’il existe pour l’artiste des dépassements  qui mènent ailleurs.  Je ne tiens pas à mettre en scène la misère sexuelle de mes contemporains. Même si la misère est intemporelle et universelle. Le bonheur c’est autre chose, mais encore tellement plus fragile.

En ce moment je travaille le nu en aquarelle. Nous en avons déjà souvent parlé avec certains d’entre vous.

Le nœud se trouve-t-il dans le lien impalpable avec le modèle ? Dans cet acte de don qui est d’amour sans l’être, charnel sans y toucher, spirituel ? Ce qui est particulier à l’homme serait alors cette mystérieuse alchimie qui passe par le corps et exhale l’esprit ? Je ne sais pas. Je cherche encore et toujours. Je sais ce que je ne veux pas.  Je ne veux pas la  banalisation, la vulgarité. Mon maître est Sandorfi. J’ai eu un tel choc en découvrant sa peinture. Des années de reprises des poses, ces drapés si particuliers. Les poses, si souvent presque les mêmes, comme un compositeur qui revient sans cesse sur une montée d’arpèges insatisfaisants, qui revient inlassablement, irrésistiblement. Des erreurs aussi, des errances.

Combien de faux pas nous menant dans l’impasse ? Combien de fois posons-nous les pinceaux sans savoir si un jour nous les reprendrons ?

Quelle étrange quête que celle du peintre.

La mienne n’en est qu’au début.

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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 00:57




c'est bien que certains d'entre vous sachent qui je suis
vous pourrez me le rappeler
si j'oublie

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1 avril 2010 4 01 /04 /avril /2010 00:50

Ginette lui avait donné la liste de courses et aussi celle pour la pharmacie. Lui, il n'aimait pas aller à la pharmacie. Déjà les courses ça le faisait suer mais la pharmacie, là, ça faisait beaucoup. Enfin, Ginette était malade, il fallait bien se rendre à l'évidence il y a des choses qu'on ne peut pas faire avec une gastro. Quelle idée aussi de choper une gastro en plein mois de juin. Le toubib lui avait dit "y'a pas de saison pour la gastro". Ouais, en attendant il ne savait pas s'ils allaient pouvoir aller à Cap d'Agde comme tous les ans avec Ginette.

Son beau-frère y avait acheté un studio dans les années soixante. Une belle petite résidence. Pas trop loin de la mer. Ils y allaient à pied tous les matins quand il n'y avait pas de brume de mer parce que sinon, on n'y voyait rien. Ils s'asseyaient dans les transats pliants que Ginette avait trouvés sur le marché il y a trois ans et ils lisaient ou bien Georges regardait les filles sur la plage. Parfois il se levait pour faire sa promenade du coté du camp des nudistes. Il y en avait parfois qui traînaient par là prés du chenal. Beaucoup se pavanaient en bateau, le sextant en goguette comme disait Loulou le poissonnier, le sextant en goguette, quel pitre ce Loulou. Toujours en train de déconner pendant qu'il vidait les poissons. Encore une invention de Ginette le poisson ! Elle disait que c'était bon pour l'iode. Lui, il ne savait pas ce que ça venait foutre là l'iode, mais bon, quand les bonnes femmes ont un truc dans la tête.

Il en était là de ses réflexions lorsqu'il arriva devant la pharmacie. La porte s'ouvrit toute seule des fois qu'un handicapé voudrait entrer sans les mains, c'était bien foutu ça. Il en faudrait partout des portes comme ça. Georges s'engouffra dans l'officine et alla tout droit sur le distributeur de tickets. Clac, d'un coup sec il arracha un petit coupon marqué 69. Il eut un petit sourire en coin en pensant à la chanson de Gainsbourg, un drôle de mec celui-là. Un petit connard qui pensait qu'à se faire du blé en se moquant du monde. Georges admirait ça. Il aurait bien aimé faire ça aussi mais il n'avait pas été assez malin. La faute à son éducation religieuse peut-être bien.

Il regarda autour de lui. Des tas de produits en réclame partout. Deux paquets de ceci deux paquets de cela, moitié prix, un acheté un gratuit. On se serait cru à la foire aux prix chez Auchan. Des couches culotte pour adultes, des hochets réfrigérants, des brosses à dents électriques, des gélules en veux-tu en voilà. Un sacré business la santé quand on y pense. Quand il était petit, sa mère le soignait avec les plantes. Est-ce que c'était pour ça qu'il ne tombait jamais malade? Bof, ça finirait bien par lui tomber dessus un jour. A soixante seize  ans, il s'y attendait de pied ferme. Tout le monde ne pouvait pas crever de la même chose. C'était à chaque fois la surprise. Lui, il faisait gaffe aux échelles, pas à ne pas passer dessous, quoique, non, plutôt à ne pas se casser la gueule en montant sur le toit. C'était ce qui lui restait de son métier de couvreur, la prudence. Le patron lui disait toujours "faut anticiper les tuiles". Il s'en rappelait bien du Dédé, "ceinture et bretelles" qu'on l'appelait. Ah! Il n'y en a plus des patrons comme lui.

Ca y est c'était son tour, plutôt mignonne la petite Sandrine qui le servait. Aimable, souriante, décolletée. Une bonne idée ces petites étiquettes avec les prénoms des nénéttes. Pas très mince mais bon, que demande le peuple. Elle lui demanda l'ordonnance, la carte vitale. Il s'exécuta.

Derrière elle des médicaments rangés par diagnostic se pressaient les uns à côté des autres. Le choix était aussi incroyable que pour les yaourts. Dulcilax, microlax, ah oui, microlax pour chier relax, il le connaissait celui là, c'était l'une des blagues à Dédé. La nana nommée Sandrine revint avec un charmant mini panier dans lequel reposaient les boîtes destinées à soulager Ginette.

"C'est pour un adulte?" lui demanda-t-elle.

"Oui, oui "

"Pour la diarrhée, faites un régime riz carottes, ça marche très bien"

"Je le dirai à ma femme"

"Ce sera tout ?"

"Non non" répondit Georges en tirant un papier froissé de sa poche," il y a aussi ça. "

Ginette avait noté un ou deux autres produits à acheter en plus, comme à son habitude. Autrefois il lui était arrivé comme ça d'acheter des trucs de femme. Il espérait que ce n'était pas des machins pour les cors aux pieds ou ce genre de chose.

"Durex, XL warming" lut à haute voix la jeune femme en face de lui. " Georges vit les deux femmes qui attendaient au comptoir d'à côté lever un regard interrogateur vers lui.

"C'est bien ça? Ce n'est pas très lisible!" dit-elle en se penchant vers lui et à cette occasion Georges plongea dans son décolleté. Jolis seins un peu trop remontés à son goût.

"Euh, je suppose oui, c'est pour ma femme. " Les deux femmes d'à côté pouffèrent.

"Ah." commenta Sandrine.

"Je ne parle pas anglais" crut-il bon d'ajouter.

"Je vais vous chercher ça tout de suite"

La jeune femme sortit de derrière le comptoir et s'élança d'un pas dansant vers les présentoirs placés au centre de la pharmacie.

Durex xl varming lut-il à son tour sur le papier froissé. Qu'est-ce que ça peut bien être ? Il ne put résister et demanda à la jeune femme lorsqu'elle revint:

"Qu'est-ce que c'est ?"

"Des condoms" lui répondit-elle.

"Des condoms?"

"Oui" Sandrine eut l'air vaguement agacé.

"Ah bon. Je vous dois combien ?"

La jeune femme encaissa l'argent que lui tendit Georges.

"Bonne soirée monsieur."

"Au revoir mademoiselle".

Georges fit demi-tour.

Des condoms? Quelle idée était passée par la tête de Ginette d'acheter ces trucs là ? Georges plongea la main dans le petit sac en papier et entreprit d’ouvrir l'emballage pour lire la notice.

Il voyait très bien de près sans lunettes depuis son opération de la cataracte.

"Vous venez d'acheter un produit Durex et nous vous remercions de votre confiance".

Qu'est-ce que c'était que ce discours ? Faire confiance ? « Plusieurs tailles sont mises à votre disposition gnagnagna pour vous aider dans votre choix gnagnagna ». Un dessin explicite suivait,  « mesurez votre gnagnagna »

Mesurez votre ? Georges relut trois fois la phrase. Extra Large. Ginette avait acheté "extra large". Georges fut flatté. Il aurait sûrement pris une taille de moins, pour sûr, peut-être même deux. Extra large. Georges s'abîma dans une bienheureuse rêverie. Ah Ginette! Il avait une femme formidable quand même. A leur âge, lui faire ce genre de surprise, tout de même. Il en avait de la chance. Ces douces pensées l'amenèrent jusque devant leur petit pavillon mitoyen des deux côtés où ils coulaient des jours heureux depuis qu'il avait pris sa retraite, dix ans plus tôt.

« Ginette, c’est moi ! »

« Qui veux-tu d’autre ? » lui répondit la voix de Ginette du fin fond des toilettes. Inutile de demander si elle allait mieux. Apparemment non.

Georges attendit que sa femme sorte des toilettes.

« J’ai acheté ce que tu avais demandé »

« Ce que j’avais demandé ? »

« Ben oui, les condoms »

« Ah oui. C’est pour Juliette. »

« Pour Juliette ? Notre Juliette ? »

« Ben oui. Elle m’a dit qu’ils en avaient besoin pour l’école »

« Pour l’école ? »

« Oui, ils ont eu une conférence ou un truc comme ça et on leur a dit d’en avoir toujours une boîte d’avance. Comme c’est bientôt ses quinze ans, je me suis dit autant lui payer un cadeau utile hein.»

« Ben oui, tu as bien fait ma Ginette. Tu as bien fait. »

Georges s’assit sur la première marche de l’escalier et entreprit de délacer ses chaussures.

Les jeunes d’aujourd’hui quand même. XL. Y’en a qui ont de la veine.





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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 00:00






j'ai oublié ce que c'est d'être femme

c'est comme si j'étais pleine de clous

fracassée là avec des tôles et du bois flotté

épave frissonnante de questions

j'ai oublié ce que c'est d'être un enfant

caché là sous le drap attendant

si je préfère être battu non pas vraiment

alors je sors promis je ne me cacherai plus

de son regard qui mord et qui me tord les bras

j'ai oublié ce qu'est un homme

sur la plaque de métro si chaude

je me vautre comme un chien

j'ai pas de papiers pour dire

qui je suis d'où je viens

je suis d'ailleurs

 

d'ailleurs je fuis

 

 

 

 

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28 mars 2010 7 28 /03 /mars /2010 00:36

 

 

a-trier-925.jpg

 

 

 

 

Ils m'ont dit tu te rends pas compte le temps que tu passes là dessus pendant ce temps tu sors pas tu fais de gym t'as vu la tronche que t'as on dirait une noyée mais oui je sais je sais ils m'ont dit tu vois pas tout ce que tu dis que tu racontes des choses qui se disent pas et tout le monde va tout savoir sur toi c'est la honte c'est vrai j'ai honte de ce que je suis et puis ces mots que tu emploies ces trucs que tu racontes ça intéresse qui c'est vrai qui et ils m'ont dit faut que tu arrêtes de te lâcher comme ça tu fais du mal  tu dis que des conneries j'ai dit non c'est pas vrai c'est que des choses à moi et qui doivent sortir ils ont dit fais gaffe quand même de pas trop trahir ta pensée et là j'ai ri trahir ma pensée j'ai dit ah non c'est pas vrai tout ce que j'écris c'est que de la vie de la vraie de la bonne qui vient de loin et qui emmène et je m'en fous de ce que vous pensez et foutez-moi le CAMP D’ICI C’EST CHEZ MOI REGARDEZ PAS DANS MON VENTRE DANS MES COUILLES c'est drôle c'est passé en majuscules tout seul je me suis pas rendue compte que je criais mais ça y est c'est fait ils sont partis je suis toute seule et je peux tout dire tout dire même des conneries ou du vrai qui pue ou qui sent bon et ça fait un bien fou un bien fou

 

 

 

 

Eluard aussi disait tout.

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26 mars 2010 5 26 /03 /mars /2010 18:29




dis-moi où
dis-moi quand
dis-moi qui tuer.









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Renaître Ici Encore Une Fois .

  • : Le blog de lavieilledameindigne.over-blog.com
  • : Ce blog est une création en devenir, un parcours semé de gravats et de bonnes intentions, comme l'enfer.
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Les grands frères


Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir

Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?

Oh ! Je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre

Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains

Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate

D'une journée, le long des rives du destin !

Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez

Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés

Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus

Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?

Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi

De vous perdre sans cesse dans la foule

O crieurs de journaux intimes seuls prophètes

Seuls amis en ce monde et ailleurs !

 

René Guy Cadou

 

 

 


L'HOMME APPROXIMATIF (extrait)

 

I

 

dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang

hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles

tombé à l'intérieur de soi-même retrouvé

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

sonnez cloches sans raison et nous aussi

nous nous réjouirons au bruit des chaînes

que nous ferons sonner en nous avec les cloches

 

quel est ce langage qui nous fouette nous sursautons dans la lumière

nos nerfs sont des fouets entre les mains du temps

et le doute vient avec une seule aile incolore

se vissant se comprimant s'écrasant en nous

comme le papier froissé de l'emballage défait

cadeau d'un autre âge aux glissements des poissons d'amertume

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

les yeux des fruits nous regardent attentivement

et toutes nos actions sont contrôlées il n'y a rien de caché

l'eau de la rivière a tant lavé son lit

elle emporte les doux fils des regards qui ont traîné

aux pieds des murs dans les bars léché des vies

alléché les faibles lié des tentations tari des extases

creusé au fond des vieilles variantes

et délié les sources des larmes prisonnières

les sources servies aux quotidiens étouffements

les regards qui prennent avec des mains desséchées

le clair produit du jour ou l'ombrageuse apparition

qui donnent la soucieuse richesse du sourire

vissée comme une fleur à la boutonnière du matin

ceux qui demandent le repos ou la volupté

les touchers d'électriques vibrations les sursauts

les aventures le feu la certitude ou l'esclavage

les regards qui ont rampé le long des discrètes tourmentes

usé les pavés des villes et expié maintes bassesses dans les aumônes

se suivent serrés autour des rubans d'eau

et coulent vers les mers en emportant sur leur passage

les humaines ordures et leurs mirages

 

l'eau de la rivière a tant lavé son lit

que même la lumière glisse sur l'onde lisse

et tombe au fond avec le lourd éclat des pierres

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

les soucis que nous portons avec nous

qui sont nos vêtements intérieurs

que nous mettons tous les matins

que la nuit défait avec des mains de rêve

ornés d'inutiles rébus métalliques

purifiés dans le bain des paysages circulaires

dans les villes préparées au carnage au sacrifice

près des mers aux balayements de perspectives

sur les montagnes aux inquiètes sévérités

dans les villages aux douloureuses nonchalances

la main pesante sur la tête

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées

partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent

sans raison un peu secs un peu durs sévères

pain nourriture plus de pain qui accompagne

la chanson savoureuse sur la gamme de la langue

les couleurs déposent leur poids et pensent

et pensent ou crient et restent et se nourrissent

de fruits légers comme la fumée planent

qui pense à la chaleur que tisse la parole

autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous

 

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

nous marchons pour échapper au fourmillement des routes

avec un flacon de paysage une maladie une seule

une seule maladie que nous cultivons la mort

je sais que je porte la mélodie en moi et n'en ai pas peur

je porte la mort et si je meurs c'est la mort

qui me portera dans ses bras imperceptibles

fins et légers comme l'odeur de l'herbe maigre

fins et légers comme le départ sans cause

sans amertume sans dettes sans regret sans

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

pourquoi chercher le bout de la chaîne qui nous relie à la chaîne

sonnez cloches sans raison et nous aussi

nous ferons sonner en nous les verres cassés

les monnaies d'argent mêlées aux fausses monnaies

les débris des fêtes éclatées en rire et en tempête

aux portes desquelles pourraient s'ouvrir les gouffres

les tombes d'air les moulins broyant les os arctiques

ces fêtes qui nous portent les têtes au ciel

et crachent sur nos muscles la nuit du plomb fondu

 

je parle de qui parle qui parle je suis seul

je ne suis qu'un petit bruit j'ai plusieurs bruits en moi

un bruit glacé froissé au carrefour jeté sur le trottoir humide

aux pieds des hommes pressés courant avec leur morts autour de la mort qui étend ses bras

sur le cadran de l'heure seule vivante au soleil

 

le souffle obscur de la nuit s'épaissit

et le long des veines chantent les flûtes marines

transposées sur les octaves des couches de diverses existences

les vies se répètent à l'infini jusqu'à la maigreur atomique

et en haut si haut que nous ne pouvons pas voir avec ces vies à côté que nous ne voyons pas

l'ultra-violet de tant de voies parallèles

celles qui nous aurions pu prendre

celles par lesquelles nous aurions pu ne pas venir au monde

ou en être déjà partis depuis longtemps si longtemps

qu'on aurait oublié et l'époque et la terre qui nous aurait sucé la chair

sels et métaux liquides limpides au fond des puits

 

je pense à la chaleur que tisse la parole

autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous

 

Tristan Tzara




FOURMI



Une fourmi fait un trajet
De cette branche à cette pierre
Une fourmi, taille ordinaire
Sans aucun signe distinctif
Ce matin, juin, je crois le sept.
Elle porte un brin, un fétu
Cette fourmi, taille ordinaire
Qui n'a pas la moindre importance
Passe d'un trot simple et normal

Il va pleuvoir, cela se sent
Et je suis seul. Moi, seul au monde
Ai vu passer cette fourmi
Au temps des Grecs et des Romains
D'autres fourmis couraient ainsi
Dont rien jamais ne parle plus
Cette fourmi, taille ordinaire
Sans aucun signe distinctif
Qui serait-elle ? Comment va-t-elle ?

Et toi et moi qui sommes-nous ?
Et comment tournent les planètes
Qui n'ont pas la moindre importance ?
Que fait l'histoire au fond des cœurs
Et comment battent ces cœurs d'hommes
Qui n'ont pas la moindre importance ?
Que font les fourmis de l'esprit ?

Ce matin, juin, je crois, le sept.
Sans aucun signe distinctif
Il va pleuvoir, cela se sent
Cela fera du bien aux champs
- Et ta fourmi, taille ordinaire
Qu'en as-tu fait ? Que devient-elle ?
Crois-tu qu'elle était amoureuse ?
Crois-tu qu'elle avait faim ou soif ?
Crois-tu qu'elle était vieille ou jeune
Ou triste ou gaie ?
Intelligente ou bien quelconque ?
Pourquoi, pourquoi
Pourquoi, pourquoi
Ça n'a-t-il pas plus d'importance ?
Pourquoi, pourquoi
Ça n'a-t-il pas plus d'importance ?
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi... Pourquoi
Pourquoi ?


NORGE

 

« On est devenu soi-même imperceptible et clandestin dans un voyage immobile. Plus rien ne peut se passer, ni s'être passé. Plus personne ne peut rien pour moi ni contre moi. Mes territoires sont hors de prise, et pas parce qu'ils sont imaginaires, au contraire : parce que je suis en train de les tracer. Finies les grandes ou les petites guerres. Finis les voyages, toujours à la traîne de quelque chose. Je n'ai plus aucun secret, à force d'avoir perdu le visage, forme et matière. Je ne suis plus qu'une ligne. Je suis devenu capable d'aimer, non pas d'un amour universel abstrait, mais celui que je vais choisir, et qui va me choisir, en aveugle, mon double, qui n'a pas plus de moi que moi. On s'est sauvé par amour et pour l'amour, en abandonnant l'amour et le moi. On n'est plus qu'une ligne abstraite, comme une flèche qui traverse le vide. Déterritorialisation absolue. On est devenu comme tout le monde, mais à la manière dont personne ne peut devenir comme tout le monde. On a peint le monde sur soi, et pas soi sur le monde. » Gilles Deleuze




Que Cherches-Tu ?

...par ici il y a du soleil !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vagues à l'âme...